At the Beginning

La soirée n’allait pas tarder à commencer. Et Myrha, à son habitude, procédait à une dernière inspection des lieux. Un bruissement d’une des ombres de son père  lui avait fait comprendre qu’elle pouvait disposer et qu’il prendrait la fin de sa surveillance des rejetons de Rhysand et Feyre. Elle s’était donc éclipsée de cette réunion mensuelle au sommet entre tous les High Lords, Ladies et leur progéniture pour s’assurer que the House of Wind était prête à les revoir. L’ancienne génération aimait se retrouver … et forçait plus ou moins la nouvelle à se fréquenter depuis des années maintenant. Ils avaient tous grandi ensemble et elle avait l’habitude de les côtoyer. Il lui suffisait donc de vérifier que les mets préférés de chacun étaient prêts, que le vin était déjà servi … Ce n’était pas dans ses attributions normales. Celles-ci, ses ombres s’en chargeaient, explorant les moindres recoins de la salle à la recherche de magie, d’espions … mais rien à déclarer. Elle aimait prendre un peu de ce temps, ce calme avant la tempête qui n’allait pas tarder à se déchaîner dans cette salle. Elle n’était pas son père et appréciait ce genre d’événements, mais avait hérité de son goût du silence pour quelques temps.

Ses ailes repliées gracieusement dans son dos, elle lissa les plis de sa robe bleu nuit qui avait fait littéralement feuler sa mère : si cela ne tenait qu’à cette guerrière Illyrienne, elle ne porterait que des cuirs traditionnels. Mais ce genre d’événements ne souffrait pas de manque à l’étiquette et elle avait bien du s’y plier, sous l’air amusé d’Azriel qui avait simplement montré son approbation avec un demi-sourire. Et elle devait avouer qu’elle n’était pas fâchée du résultat. Elle avait relevé quelques regards appréciateurs qui n’étaient pas sans flatter son ego. Et The Mother knew she needed it. Il y en avait un qu’elle avait soigneusement évité du regard, ne voulant pas réellement connaître son avis … enfin s’il avait décollé les yeux d’une des ravissantes femelles qui passaient par là. Selena lui avait lancé un clin d’œil encourageant, qui n’avait fait que renforcer sa détermination à ne pas le regarder. Azriel avait fini par s’asseoir avec elle pour avoir la conversation qui lui avait fait mal. De sa propre histoire avec Mor’, qui avait fait douloureusement écho dans le cœur de la jeune Fae. Bien évidemment, elle était au courant, mais qu’il s’ouvre de la sorte face à elle … ç’avait été difficile. Et elle savait que pour qu’il en vienne là, il avait du voir plus que ce qu’elle n’avait bien voulu laisser paraître. Et en avait été alerté.

Etouffant un soupir, elle tendit la main et se servir un verre de vin, humant ses parfums délicats. Tant pis, personne ne lui en voudrait de commencer la soirée toute seule. Il y avait même de fortes chances pour qu’elle ait terminé, fasse disparaître habilement toute preuve de sa culpabilité avant de se joindre aux autres. Même si elle était d’un rang inférieur et en était parfaitement consciente, ils ne lui faisaient jamais sentir, ne leur faisait jamais sentir et tout se passait toujours à merveille. Les ombres lui revinrent, pour l’informer … qu’elle n’était plus seule. Fermant les yeux, elle se força à détendre ses épaules et sa nuque. Il n’était pas question qu’il voie quoi que ce soit, et surtout pas ce soir. Dans un léger rire, elle posa le verre sur la rambarde, juste devant elle et leva les deux mains, restant de dos : Je plaide non coupable ! Et se prépara à ce qui allait suivre.

Observant son reflet dans le miroir, Jaeke se demandait pourquoi il fallait toujours être si formel durant ces soirées réunissant la haute société. Ils finissaient toujours par être encore plus ivres que leurs parents lorsqu’ils se retrouvaient. Chaque goutte d’alcool qui finissait sur leurs vêtements hors de prix lui faisait indubitablement froncer le nez. Quel gâchis, pensa-t-il en ajustant son costume, ce dernier presque aussi noir que ses prunelles. Sa mère le tira de ses rêveries en lui criant de se dépêcher, non sans y ajouter une de ces remarques acerbes dont elle avait le secret. Résigné, il finit par la rejoindre, accompagné de ce sourire en coin qui ne le quittait jamais dès qu’il devait se plier à ses ordres. Cela l’avait toujours fait rire de voir la peur qu’elle inspirait aux autres et ce serait mentir de dire qu’il n’en avait jamais profité. Personne ne le prenait jamais au sérieux à cause de ses traits presque féminins, trop doux pour attirer le respect de ses pairs. Mais Jaeke ne s’en formalisait pas, il les laissait penser ce qu’ils croyaient voir, cachant ses talents pour mieux en user si nécessaire. Si Tyr’ maniait les armes à merveille, Jaeke usait de son intellect comme d’une épée et de sa magie comme d’un bouclier.

Après avoir écouté les dernières recommandations de sa mère, il rejoignit la petite sauterie sans se presser, n’aimant pas arriver le premier. Caché derrière un rideau, Jaeke prit le temps de noter la position de chacun, cherchant ses amis du regard. Il arrêta ce dernier sur Myrha et esquissa un sourire en la voyant siroter du vin seule. C’était bien son style de rester en retrait et il comprenait sa retenue, n’aimant pas particulièrement être le centre de l’attention non plus. Après tout, ils avaient été élevés pour veiller sur « la royauté », pas pour en être. Non pas qu’on les ait fait se sentir inférieurs pour autant, bien au contraire. Chacun avait son rôle et sa place en ce monde, c’était ainsi. Alors qu’il allait se diriger vers Myrha, il entendit Tyr le héler pour qu’il rejoigne le petit groupe, sans doute pour prendre sa place afin qu’il puisse se glisser vers elle lui-même. Mais Jaeke n’était pas d’humeur à accéder à sa requête car il avait remarqué la tension qu’affichait sa meilleure amie. Mieux valait un allié à ses côtés avant que leur petit manège ne commence. Faisant mine de ne pas l’avoir entendu, ce qui n’échappa pas à Tyr, il se glissa vers Myrha, bien décidé à éveiller la jalousie du guerrier indécis.

Je plaide non coupable ! Déclara-t-elle en levant les deux mains, non sans avoir posé son verre de vin auparavant. Il s’empara de ce dernier avant de poser une main sur ses reins, conscient que ses moindres gestes étaient épiés par Tyr. Après avoir vidé le verre, il susurra quelques mots à l’oreille de sa comparse. Devine qui a essayé de me voler ma place ? Il se dégagea d’elle pour mieux la toiser et apprécier sa tenue. Non sans adresser un clin d’œil à son ami qui les observait sans aucune discrétion. Je vois que t’as pas lésiné sur les moyens ce soir… Un petit rire moqueur lui échappa alors qu’il s’adossait à la rambarde. Elle était à couper le souffle, comme toujours, et il n’était pas le seul à en être conscient. Je sens que Vukan va apprécier… Encore une petite pique destinée à Tyr qui écoutait toujours leur conversation. Et c’était exactement pour cela qu’il s’amusait à tourner le couteau dans la plaie, histoire de faire réagir cet imbécile une fois pour toutes. La soirée promettait d’être follement amusante pour Jaeke, bien décidé à user de tous les moyens possibles pour qu’elle le soit également pour Myrha. Il lui devait bien cela après avoir accepté les avances de Tyr et Selena lors de son dernier anniversaire, inconscient alors des sentiments qu’éprouvait sa meilleure amie.

S’il y avait bien une chose que Tyrrell aimait plus que tout, c’était les fêtes. Un des premiers arrivés, un des derniers à s’éclipser. Ce soir ne ferait pas acception, surtout sachant que pour la première fois, une nouvelle jeune femme allait être de la partie. Son père lui avait demandé de garder un œil sur la fille de Tamlin, juste au cas où, pour éviter tout incident. Sa mère s’était contentée de rire, consciente que les incidents venaient bien trop souvent de son propre fils. Pourtant, c’était une tout autre créature qui occupait ses pensées et il fallait être aveugle pour ne pas le remarquer. Depuis qu’il était arrivé, il avait cherché un moyen d’attirer son attention, trop stupide pour se contenter d’une attaque frontale, comme il aimait l’appeler. Il ne savait jamais sur quel pied danser lorsqu’il s’agissait de Myrha, ayant parfois l’impression d’être une de ces ombres qu’elle contrôlait si aisément. Et c’était bien cela le problème, il en perdait tous ses moyens et se comportait encore plus comme un imbécile, aggravant un peu plus les choses à chaque mauvaise décision qu’il prenait malgré lui. Du moins, c’était ce qu’il se disait pour éviter de ressentir trop de culpabilité face à ses nombreuses conneries. T’es vraiment un gros con… Lui asséna Astra sans prévenir, alors qu’elle se joignait au petit groupe. Il lui adressa un regard interrogateur auquel elle répondit par un bruit dédaigneux en montrant Myrha d’un coup de tête discret. Mais j’ai rien fait ! Répondit-il en levant les yeux au ciel. Il aurait pu rajouter « encore » pour être plus proche de la vérité mais cela aurait été un cadeau pour Astra qui avait déjà bien assez à rétorquer comme ça. C’est bien ça le problème. Tu fais rien, imbécile. N’ayant rien à répondre à cela, il se contenta de faire la moue alors qu’elle l’achevait d’un rire triomphant avant de s’intéresser à nouveau à son verre.

Tyrrell aperçut Jaeke qui passait non loin et y vit une opportunité de clouer le bec d’Astra. Mais sa manœuvre échoua lamentablement et il se renfrogna encore plus, non sans insulter celui qui se prétendait son ami, au passage. Il essayait bien de faire comme si de rien était mais c’était plus fort que lui, il ne pouvait s’empêcher de les épier pour savoir ce qui se tramait du côté de la rambarde. Astra n’en perdait pas une miette non plus et il savait qu’elle devait être dans le coup. C’était sûrement elle qui avait soufflé l’idée à Jaeke grâce à ses talents de Daemati. Pas du tout… Il sait très bien comment te faire chier tout seul. Fanfaronna-t-elle à son oreille, lui rappelant une fois de plus de renforcer ses boucliers mentaux en sa présence. Il détestait la facilité avec laquelle la jeune femme se glissait si aisément dans ses pensées. À croire qu’elle aimait par-dessus tout le tourmenter. Ce qui la fit rire à nouveau alors qu’il commençait à sentir son sang bouillonner de rage, face à l’impuissance qu’il ressentait. Dis à ta sœur d’arrêter de lire mes pensées ! Cracha-t-il à Lief avant de tourner le dos au petit groupe qui n’avait surement rien manqué de l’incident. Raison de plus de le mettre en colère, lui qui n’aimait pas être ridiculisé si facilement. Il se dirigea vers le bar d’un pas décidé, l’oreille toujours tendue vers les deux autres qui devaient se délecter de sa détresse. Ses muscles contractés faisaient frémir ses ailes qui bousculaient les passants sans qu’il s’en émeuve. Il voulait juste boire, pour rendre les choses plus faciles, pour la chasser enfin de ses pensées. Pour commettre une énième connerie sûrement. Parce qu’il ne savait faire que ça lorsqu’il s’agissait d’elle, se planter lamentablement. Reculer au lieu d’avancer. Creuser lui-même sa propre tombe en somme. Et visiblement aucun de ses amis n’était décidé à lui filer un coup de main. Bien au contraire, ils semblaient tous s’amuser de le voir si démuni, lui qui n’éprouvait d’ordinaire aucune difficulté à obtenir ce qu’il désirait.

Dis à ta sœur d’arrêter de lire mes pensées ! D’ordinaire, Lief aurait soit répliqué à Tyr’ qu’il n’avait qu’à mieux se protéger, soit menacé sa sœur de représailles si elle n’arrêtait pas son petit manège tout de suite, avec des rappels de la bienséances et de ce qu’était l’intimité bien sentis (avec un demi-sourire intérieur, qu’elle aurait capté). Et il aurait vérifié ses propres barrières mentales. Cependant, Lief n’était pas exactement dans son état normal, ce soir-là. Tout avait commencé … quand the Spring Court était arrivée. Il avait été briefé, en long en large et en travers par son père et sa mère. Comme d’habitude, il avait silencieusement acquiescé. Il ferait ce qu’on attendait de lui, lui, l’héritier du premier couple High Lord / High Lady de l’Histoire. En toute simplicité et en toute discrétion. Il n’avait pas le panache de son père ou la fougue bravache de sa mère. Il n’avait rien demandé de tout cela. Donc il s’apprêtait à faire ce qu’il savait faire de mieux : se conformer aux attentes de tous et faire bonne figure. Jusqu’à ce qu’il la voie. Ce n’était pas le fait qu’il se soit préparé à l’accueillir qui ait été réellement problématique et le choc en la voyant. Ou le fait qu’elle soit absolument charmante, alors qu’on lui avait dit de s’attendre à tout. Non, cela avait été cette tension, ténue, qu’il avait senti dans l’une des fibres de son corps. Une qu’il ne connaissait pas, dont il n’avait même jamais soupçonné l’existence. Mais il n’avait pas vacillé. Pas flanché. Il l’avait accueillie d’un hochement de tête, sa marque de fabrique, avant de se ranger aux côtés de ses parents pendant toute la durée des discussions du jour. Ne pas la dévisager avait été une épreuve en soi. Et maintenant …

Maintenant qu’il était là, au milieu de la pièce, avec tous ceux qu’ils connaissaient autour de lui … il ne parvenait plus à se concentrer. Il ne parvenait même pas à faire semblant. Ou à s’intéresser réellement aux chamailleries habituelles. Il n’y avait que sa silhouette, près des escaliers, qui le captivait. Il ne voulait pas mettre de mots sur ce qu’il ressentait. Pour tout dire, il n’y parvenait pas. Peut-être n’était-ce rien, juste un peu de pouvoir, ou la tension de la journée ou … en fait, ou un peu n’importe quoi. Mais pas … ça. Il refusait de l’envisager. En fait, il l’avait tellement refoulé qu’il ne parvenait pas à former mentalement ces mots. Et pourtant … il ne pouvait nier que c’était une force primale, ancestrale qui s’empara de lui, lui faisait faire quelques pas, pour attraper une pleine assiette de fruits au passage. Pour s’occuper les mains. Pour avoir quelque chose à faire. Il ne dut l’absence de collision qu’à ses sens extrêmement aiguisés par de nombreux entraînements, parce que ses prunelles ne la lâchaient pas. Et ce ne fut que son habitude des mondanités qui lui permit de garder un air parfaitement digne, alors que tout en lui hurlait, quand il tendit l’assiette à l’apparition : Jazmin, c’est bien ça ? C’était encore pire de près. Il espérait que tout le monde soit suffisamment occupé pour reprendre le contrôle des battements de son cœur, avant qu’on ne s’intéresse à eux. Mais la petite bande de la Cour des Rêves était bien occupée normalement et les autres avaient sans doute mieux à faire : Je te souhaite la bienvenue parmi nous, un peu moins officiellement. Et il l’aurait fait, dans tous les cas. Ils se connaissaient tous depuis l’enfance, cela ne devait pas être simple pour elle de débarquer au milieu d’eux. Et il savait qu’il avait une position de choix dans le groupe, dû à son rang, ses pouvoirs … au « package » qu’il représentait. Bien malgré lui. S’il montrait l’exemple, tout se passerait au mieux : Nous sommes tous heureux que tu sois enfin des nôtres. Les mots sortaient automatiquement. Le reste de son être était concentré sur … cette sensation. Pour essayer de la comprendre.

Si Syeira endurait ces réunions interminables sans broncher, c’était grâce à la promesse de retrouver ses camarades de jeux après. De jeux divers et variés, allant du jeu d’alcool à des activités beaucoup plus horizontales. Ou verticales, selon l’envie. Oh, quoi ? Après tout, elle avait bien le droit de s’amuser, elle aurait l’éternité pour s’amender … si elle en avait envie. Et cette soirée promettait d’être un dé-lice. Il y avait eu des signes avant-coureurs, la raideur inhabituelle de Lief, même s’il n’était pas connu pour s’épanouir particulièrement dans le protocole. Il y avait eu la tenue somptueuse de Myrha, et son application à ne pas regarder Tyr. Et, alors qu’elle faisait partie du petit groupe de celui-ci en début de soirée, elle ne put manquer le manège de Jaeke, lui arrachant un sourire appréciateur. Elle leva même son verre vers lui, alors qui descendait celui de Myrha avant de faire de même avec le sien. C’était comme ça qu’ils s’épanouissaient tous, dans ce chaos organisé. Elle n’osait imaginer ce qui se passerait s’ils commençaient tous à prendre tout au sérieux … même s’il le faudrait un jour, au moins pour que tout le monde passe à autre chose. A faire comme elle, par exemple. Croquer la vie et tous ceux qui se présentaient. Enfin … sauf Vukan. Etant parfaitement consciente d’être dans son champ de vision, elle s’étira longuement, faisant ressortir ses bras nus et sa poitrine, ce qui ne manquerait pas de le rendre fou, intérieurement. Enfin sans doute. Il avait toujours su dominer son désir. Il devait la désirer. Forcément. Mais céder ? Ja-mais. Avec un haussement de sourcil évocateur vers l’héritier de la Day Court, elle emboîta le pas à Tyr qui s’éloignait en grommelant. Tu t’adresses à la mauvaise personne pour t’aider, mon chou.

Elle était plus que désirable, et elle le savait. Astra était l’intrépide excentrique, Lief l’imposant héritier, Myrha la force tranquille, Jaeke le feu de glace, et Tyr … Posant son fessier rebondi sur le buffet, elle lui tendit sa coupe de la main droite pour qu’il la resserve également. Il était de ceux pour lesquels elle serait prête à mourir ou à tuer sans l’ombre d’une hésitation. Son regard perçant ne manqua pas Lief qui se dirigeait vers la mystérieuse progéniture de Tamlin, qu’elle aurait bien cuisiné à sa manière. Il ne semblait cependant pas avoir besoin d’aide pour l’instant, mais il n’était pas question de le laisser sans surveillance trop longtemps. Pour l’instant, c’était son ami ailé qui avait besoin d’aide. Alors, quel est le plan, beau gosse ? Ses longs doigts de la main gauche martelaient en rythme le bois de la table, avant de cesser leur manège pour venir se perdre dans sa longue chevelure blonde. Observant le tableau que formaient Jaeke et Myrha, elle finit par demander : Tu sais que je pourrais occuper Vukan pour la soirée, si tu me le demandais. Ce n’était pas du bluff. Elle ne pensait sans doute pas à aller jusqu’à coucher avec lui (certainement pas lui faire ce plaisir), mais s’il voulait tenter une approche ce soir, elle était prête à écarter son « rival » de son chemin. Lui demander de but en blanc s’il comptait enfin se déclarer n’était pas une option. Elle n’était pas certaine que ce soit une bonne idée, et elle n’était pas la meilleure personne avec laquelle en parler. Ce qui ne l’empêchait pas de proposer ses services. C’était ça, l’amitié : On peut aussi s’amuser… Sans ou avec sous-entendu. Il y avait beaucoup de manières d’occuper Tyr pendant une soirée. Et toutes n’incluaient pas une clause « take off your clothes ». Ce ne serait pas sa décision, ce qu’il ferait. Elle refusait de s’en mêler. Ja. Mais.

C’était la première réunion officielle à laquelle son père avait enfin consenti à l’amener. Et bordel, elle s’était attendu à tout sauf à ça. Elle avait pourtant joué son rôle à la perfection, faisant exactement ce qui avait été attendu d’elle et pourtant… Quelqu’un avait dû lui jeter un sort. Oui c’était la seule explication possible car Jazmin n’avait, d’habitude, aucun mal à résister à sa curiosité. Mais face à ces deux prunelles violettes qui ne cessaient de croiser les siennes, toute sa ténacité s’était volatilisée. Quelque chose avait changé lorsqu’ils s’étaient toisés pour la première fois. Quelque chose qui n’était pas là jusqu’à présent s’était… mis en place ? Comme une pièce qui vient enfin compléter un puzzle qu’on croyait terminé. Comme un sens qu’on se découvre alors qu’on pensait tous les posséder. Oh, elle se doutait bien de ce que cela pouvait être mais elle avait bien trop peur pour l’accepter, pour le nommer. Toute l’assemblée avait dû entendre son cœur battre à tout rompre, son père avait même posé une main rassurante sur la sienne. Feyre Archeron lui avait même lancé un regard compatissant, pensant sûrement que le stress de cette rencontre avait pris le dessus. C’était vrai qu’elle rencontrait certains High Lords et High Ladies pour la première fois, sans compter sur leur progéniture et pourtant… Même si elle était une outsider, elle n’avait jamais souffert d’avoir été mise à l’écart.

Pourtant, en cet instant, alors qu’elle les voyait tous réunis comme de vieux amis, elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver une pointe de jalousie. Pour la première fois, elle ne savait pas où était sa place, ni même comment se comporter. Être elle-même ? Ça serait une sacrée surprise de voir leurs visages confus face à son caractère à l’opposé de l’image qu’ils avaient de son père. Comme si elle devait en être sa copie conforme pour ne pas les décevoir, pour coller aux histoires qu’ils avaient entendues. Cela les aiderait sans doute à justifier son absence durant tout ce temps. Mais ce n’était pas son style, au contraire, elle voulait rattraper le temps perdu. Elle voulait qu’ils voient au-delà des idées reçues, qu’ils regrettent de ne pas avoir pu profiter de sa compagnie plus tôt. Alors pourquoi ne parvenait-elle pas à descendre ces maudits escaliers ? Pourquoi chaque fibre de son être tressaillait ? Bordel, mais bouge ! S’entendit-elle dire à voix haute malgré elle. Un pas, puis un autre, comme si ses jambes étaient sous pilote automatique. Elle n’avait aucune foutue idée de ce qu’elle faisait, comme si quelqu’un la faisait agir comme une marionnette. Puis elle croisa son regard alors même qu’elle s’apprêtait à lui rentrer dedans. Jazmin, c’est bien ça ? Elle hocha la tête, incapable de formuler la moindre réponse. C’était une première ça aussi, elle qui avait l’habitude de ne jamais la fermer… Et pourtant, enfin, ses lèvres délivrèrent un mot, presque un chuchotement mais qui sonna comme une musique à ses oreilles. Lief… Qu’est-ce que c’était comme foutue réponse ein ? Elle allait encore passer pour une demeurée aux yeux de tout le monde. Et voilà que son cœur se remettait à battre à tout rompre. Gé-nial. Combo gagnant.

Je te souhaite la bienvenue parmi nous, un peu moins officiellement. Un rire cristallin pour toute réponse, non mais quelle cruche. Son premier réflexe fut donc d’arracher le plat de fruits des mains de Lief, comme si elle acceptait un peu trop précipitamment, et avec beaucoup de maladresse, cette humble offrande. Nous sommes tous heureux que tu sois enfin des nôtres. Un sourire, un vrai, se dessina finalement sur ses lèvres tremblantes. Bon c’était un bon début. Maintenant il fallait trouver quelque chose à dire, cohérent si possible. Tu sais…qu’on a aussi des fruits chez moi pas vrai ? Les mêmes en plus, c’est fou ! Non pas que ce soit pas gentil de ta part ein mais jeveuxpasparaîtreimpolie… de l’alcool ? À boire ? J’en ai besoin là. Je me sens… bizarre. Elle n’avait repris son souffle que deux fois dans cette interminable tirade et le rouge lui monta aux joues. Ses iris émeraude sondèrent la pièce, à la recherche du coupable. Oui, parce que c’était bien la faute de quelqu’un si elle se trouvait dans cet état. On avait sûrement tenté de la droguer ou pire de l’empoisonner ! Jazmin posa précipitamment le plateau sur une table avant de menacer Lief de son index accusateur. C’est quoi ce foutu putain de bordel ? Vous vous foutez de ma gueule pas vrai ? Pourquoi je me sens COMME CA ?! C’EST PAS NORMAL ! CA M’EST JAMAIS ARRIVÉ ! Mais oui, faire une scène, c’était parfait comme entrée. Avec ça, c’était sûr, elle allait marquer des points. Surtout que ses hurlements avaient attiré l’attention de toute la salle sur eux. Mais c’était trop tard pour faire marche arrière. C’est toi pas vrai ? Crache le morceau ! Exigea-t-elle, plus autoritaire qu’elle ne l’avait jamais été. Décidemment… Pour briser les clichés instaurés par son père, il faudrait repasser. Un incident diplomatique, voilà tout ce qu’elle avait réussi à obtenir ce soir. Et pourtant, quelqu’un avait éclaté d'un rire tonitruant, brisant le silence qui s’était installé dans toute l’assemblée. La cerise sur le gâteau.

Emmerder Tyr avait été amusant mais ce n’était qu’une simple mise en bouche pour Astra qui cherchait déjà sa prochaine victime de ses yeux gris, tirant presque sur le turquoise. Elle pouvait presque toucher des doigts les étincelles qui commençaient gentiment à crépiter dans la salle. Tellement de possibilités s’offraient à elle, nombreux étaient les esprits non proprement protégés qu’elle pouvait sonder à loisir. Mais elle avait fini par arrêter son choix sur la charmante fille du Printemps qui ne semblait pas oser descendre les marches. La fille de Tamlin, une source de problèmes infinis si on savait comment manier les fils… Ce qu’elle fit, sans aucune gêne, ricanant alors qu’elle lui faisait rejoindre son frère telle une marionnette. Oh, n’allez pas croire que c’était dû au hasard. L’excentrique fille des étoiles avait remarqué leur petit manège durant la réunion mais il lui avait été impossible d’en apprendre plus sans se faire remonter les bretelles par sa mère… ou croiser le regard désapprobateur de son père. Combien de soupirs avait-elle poussé, ennuyée de se voir privée de son jeu préféré ? Trop pour les compter. Mais cela n’avait plus d’importance désormais car tout le monde était trop occupé pour la chaperonner. Alors elle se rapprocha de l’objet de sa convoitise, prête à assister au spectacle qui n’allait pas tarder. Excitée comme une puce, elle trépignait d’impatience de voir le film qui se jouerait ce soir. Une comédie ? Pour elle, certainement. Un drame ? Sans aucun doute vu le flot d’émotions confuses qu’elle commençait à capter chez les acteurs principaux.

Les mièvreries pour premier acte, les cris pour finalement captiver l’audience durant le second. Par le Chauderon que c’était bon ! Elle se retenait déjà de rire alors que doucement, elle s’infiltrait dans les fissures qui craquelaient les boucliers de son frère. Il réussit à la chasser avant qu’elle ne découvre son petit secret mais c’était sans compter sur la fille. Offerte sur un plateau d’argent… Sans se faire prier, Astra fit son entrée dans l’esprit haut en couleurs de Jazmin. Ce n’était pas ce à quoi elle s’attendait et cela ne fit que la galvaniser encore plus. Mais le clou du spectacle fut ce lien, si fragile mais pourtant bien présent, qu’elle décela et la conduisit tout droit à… Lief ? Elle recracha le contenu de son verre sur Vukan avant d’éclater de rire comme une possédée. Et telle la commère qu’elle était, ne nous le cachons pas, elle s’empressa de joindre ses parents pour leur révéler le secret qu’elle venait de percer à jour. Leur réaction ne fit que redoubler son hilarité et ses yeux furent vite inondés de larmes. Balance, tu me dois bien ça après avoir ruiné mon costume. Lui intima son cousin à qui elle se raccrochait pour tenir debout. Alors que son frère tentait de s’expliquer, elle se tourna finalement vers Vukan, plus malicieuse que jamais. Holy-fucking-MATES ! Eructa-t-elle avant de reprendre son fou rire où elle l’avait laissé. Elle s’en foutait bien qu’on l’ait entendue ou non, c’était de loin l’événement de l’année et personne ne pourrait venir gâcher ce moment. Aucune des personnes concernées, ni même ceux qui en seraient blessés. C’était trop beau pour être vrai et jamais elle n’avait été aussi contente de ses pouvoirs de Daemati.

Izyan avait pris un peu de retard, discutant de réformes sociales avec son père, Eris et Aiden. Les relations entre leurs cours étaient des plus étroites, avec celle du Printemps. Tamlin était cependant toujours légèrement fuyant lors de ces réunions, même si, les années aidant, il se détendait. Cette fois-ci, ayant emmené Jazmin … disons que les choses étaient tendues, pour le moins. Protecteur, il avait couvé son amie des yeux tout au cours des négociations, restant proche d’elle pour qu’elle sente sa présence. Il l’avait trouvée … absente. Et elle n’était pas la seule dans ce cas. Les tensions qui habitaient cette autre alliance, plus jeune, étaient quasiment palpables. Il fallait un jour que les tensions éclatent au grand jour, mais peut-être n’était-ce pas le moment. Aiden avait fait des merveilles, comme à son habitude et il était plus fier de jour en jour de celui qui, à n’en point douter, achèverait de redorer le blason de la Court of Autumn … même si sa sœur aînée possédait également une partie des pouvoirs de son père. Il serra son ami dans ses bras avant qu’il ne disparaisse, avec son père : des affaires urgentes le tiendrait éloigné des festivités. Il l’avait regardé dire au revoir un peu plus tôt à Jazmin avec un pincement au cœur et n’avait évidemment pas flanché quand il avait plongé son regard dans le sien : Tu veilleras sur elle. As-tu encore besoin de le demander ? Et il s’était dépêché de passer en bas. Jazmin n’avait pas eu l’air dans son assiette. Il s’entendait avec tout le monde, ce qui était une chose extrêmement rare dans leur petit groupe et entendait bien en profiter pour la mettre à l’aise et la faire accepter sans méfiance de tout le monde. Quelle plus belle preuve que son amitié inconditionnelle ?

Descendant les escaliers, il fronça les sourcils en la voyant encore en bas. Elle était partie largement devant lui. Lief se tenait en face d’elle, imperturbable, comme à son habitude et elle … Jaz… C’est quoi ce foutu putain de bordel ? Vous vous foutez de ma gueule pas vrai ? Pourquoi je me sens COMME CA ?! C’EST PAS NORMAL ! CA M’EST JAMAIS ARRIVÉ ! Il sursauta. Jamais de son existence il ne l’avait vue dans un état pareil. Quelque chose clochait. Il était fortement improbable que qui que ce soit se soit risqué à faire quelque chose. C’est toi pas vrai ? Crache le morceau ! Et encore moins Lief. Mais pas question de lui dire qu’elle se comportait un peu comme une folle. Ses prunelles d’un bleu clair glacial se promenèrent sur les « usual suspects », Vukan ne semblait pas dans le coup, Tyr et Syeira semblaient occupés de leur côté et Astra qui riait … Le doute s’insinua dans son esprit alors qu’il descendait les degrés pour poser une main légère dans le dos de Jazmin : Je peux savoir ce qu’il se passe, ici ? Sa voix avait claqué sèchement, ce qui n’était pas réellement son intention. Mais il se mettait à la place de son amie et la voir terrifiée comme ça ne lui plaisait pas, mais alors pas du tout. Il refoula la vague qui menaçait de déferler sur la salle et se pencha pour demander doucement à l’oreille de Jazmin : Ca ne va pas ? Qu’est-ce que tu… Holy-fucking-MATES ! Coupé en plein élan, il leva les yeux vers Astra, ivre d’hilarité, visiblement. Et il savait qu’elle ne mentait pas. Il ne savait pas pourquoi, exactement, mais cela sonnait beaucoup trop juste. Et le regard que Lief posait à présent sur son amie … Son poing droit se serra, et sa mâchoire également. Il remercia le Chaudron qu’Aiden ne soit pas là. Il avait quelques secondes uniquement pour réagir. Et il devait les utiliser sagement. Il me semble que tu as parlé d’un verre … viens. Fermement mais en restant sur ses gardes, il la prit par le bras et l’éloigna de l’Héritier de la Cour de la Nuit. En prenant ses précautions. Il avait vu des mâles devenir fous pour moi que cela. Mais il était hors de question qu’il laisse Jaz’ dans ce pétrin. Pas comme ça. Il fallait qu’elle ait le choix. Qu’elle se reprenne. Pour y voir plus clair. Arrivé au buffet, non loin de Tyr et Syeira, cette dernière dévisageant son amie avec un peu trop d’insistance, il demanda avec un sourire froidement poli : Tu veux mon portrait, Syeira ? Uniquement si c’est un nu, mon chou, susurra-t-elle en retour, sans le regarder le moins du monde. Il lui tourna le dos, s’empara de deux coupes et en fourra une dans les mains de Jazmin : Tiens, bois ça. Il aurait voulu ajouter un « ça ira mieux » mais préférait ne pas s’avancer sur ce qu’il ne pouvait garantir.

Myrha savoura la main posée dans son dos, sachant très bien à qui elle appartenait. Elle ne broncha même pas alors que Jaeke lui volait son vin, c’était dire à quel point elle était ravie de le voir. C’était tout ce dont elle avait besoin, un début de soirée en douceur avec quelqu’un qui ne lui voulait que du bien. Devine qui a essayé de me voler ma place ? Le murmure lui arracha un frisson alors que son cœur ratait un battement. Elle se morigéna, secouant légèrement la tête pour repousser cette vague d’espoir qui venait de monter en elle, ces picotements qui la parcouraient entièrement, du bout des doigts aux pieds en passant par sa colonne vertébrale. Un soupir lui échappa. Elle s’était pourtant promis que cela ne lui ferait rien, ce soir. Je vais avoir besoin de beaucoup plus de vin … Elle se retourna pour plonger son regard dans celui de Jaeke. Elle n’avait pas envie de verbaliser ce qu’elle ressentait et elle savait bien qu’avec lui, c’était inutile. Il la lisait comme personne (enfin, Astra exceptée mais elle trichait) et c’était ce qui était aussi agréable. Il n’y avait qu’à se laisser porter. Une fois encore, Myrha maudit le Chaudron de ne pas plutôt avoir lié son âme à celle de cette créature qui était des plus parfaites dans ses imperfections, à bien des égards. Je vois que t’as pas lésiné sur les moyens ce soir… Un sourire franc et un poil coquin rehaussa ses lèvres alors qu’elle faisait un pas en arrière, pour qu’il puisse mieux l’admirer. Posant la main droite sur sa hanche, elle se fendit même d’un tour sur elle-même. Le goût du vin combiné à la présence bienveillante et flatteuse de Jaeke lui donnaient des ailes … figurativement, étant déjà bien pourvue naturellement (dans plusieurs sens de ce terme).

Je sens que Vukan va apprécier… Un rire franc lui échappa, cette fois-ci. Elle se rapprocha de lui, les yeux dans les siens, et murmura : Je sais ce que tu es en train de faire. D’un mouvement de main ornée d’un Syphon, monté sur un bracelet qu’elle portait en permanence, elle remplit sa coupe et en fit venir une autre. Elle lui tendit la nouvelle avant de trinquer avec lui. Il voulait lui donner du courage. Le courage de faire autre chose, l’envie de passer la soirée différemment. Astra et lui les avaient surpris avec Vukan, dans une alcôve, la dernière fois. Ce n’était pas la première, entre eux deux. Mais c’était la première fois que quelqu’un les surprenait. C’était remonté jusqu’à lui. Qui s’en moquait. Ou pas. Elle ne savait pas. Elle ne savait plus, et ça la fatiguait. Il y avait des mâles qui l’appréciaient. Il était hors de question qu’elle passe des siècles à se languir comme son père avant elle. Alors … après tout, pourquoi pas ? Et ça fonctionne … Elle déposa un baiser sur le nez de Jaeke avant de descendre une longue gorgée de vin. Elle se tourna ensuite vers l’héritier de la Cour du Jour et commença à avancer vers lui quand … Holy-fucking-MATES ! Elle se figea. Tout ne dura qu’une fraction de seconde alors qu’elle analysait tout : Lief et sa rigidité soudaine. Jazmin qui ne semblait plus savoir où elle en était. Izyan qui montrait des signes d’agressivité peu habituels chez lui. Une ombre furtive partit, en direction de son père. Pas besoin d’être Devin pour savoir qu’Astra avait sans doute déjà répandu la nouvelle, qui devait être avérée. Elle l’avait à peine atteint quand elle sentit une force la rappeler. Etouffant un hoquet de surprise, elle rétracta son ombre, ayant délivré son message, qui regagna la pièce alors que des barrières magiques s’érigeaient autour d’eux. Nul besoin d’alerter qui que ce soit. Elle savait qui en était responsable. Il fallait … continuer. Pour ne pas envenimer la situation. Elle positionna cependant ses ombres tout autour de la salle, discrètement, se jouant de la lumière et profitant de la moindre noirceur naturelle sur les murs. Un sourire charmant se dessina sur ses lèvres alors qu’elle s’approchait de sa cible : Il semblerait que quelqu’un ait besoin d’une nouvelle tenue … ou d’un peu d’aide pour se débarrasser d’indésirables. Elle posa une main légère sur le dos d’Astra, lui signifiant qu’elle ne parlait pas d’elle. Les personnes visées étaient près du buffet et elle s’attachait à ne pas les regarder. Puis-je faire quelque chose pour vous, Heir of the Day Court ? Une légère inclinaison de la tête, qui n’était guère nécessaire. Mais un jeu. Qu’ils avaient commencé en toute discrétion il y avait quelques temps de cela. Et qu’elle prenait, pour une fois, l’initiative de redémarrer en pleine lumière. Pour de multiples raisons. Toutes meilleures les unes que les autres … en théorie.

Vukan prenait ses aises, plus détendu que jamais aux côtés de sa sœur. À ses yeux, c’était juste une soirée comme les autres, un petit comité composé de sa famille et d’amis proches. Mais cela ne voulait pas dire qu’ils étaient à l’abri d’un incident pour autant. Bien au contraire vu la tournure que prenaient les événements. Tout avait commencé par la crise de jalousie de son imbécile de cousin, bien trop frustré pour remarquer qu’il tombait exactement dans le panneau. Ils avaient gloussé avec Enya, surtout lui, n’ayant pas autant de bonté d’âme que sa chère sœur. Pour preuve, il ne s’était pas gêné pour devancer Tyrrell en séduisant Myrha le premier. Et ce qui n’aurait dû être qu’un one time only avait pris une tournure pour le moins… inattendue. Vukan n’était pas à plaindre en somme et il s’en félicitait presque, surtout en la voyant ainsi vêtue de cette robe qui la mettait tant en valeur. Pourtant, il n’avait pas pu s’empêcher d’éprouver une pointe de jalousie en voyant l’autre vipère écarlate rejoindre le guerrier. C’était plus fort que lui et cette fâcheuse habitude lui tapait sérieusement sur le système. Mais contrairement à Tyr, il savait très bien cacher ses émotions quand cela était nécessaire. Sauf quand on le prenait totalement au dépourvu, comme Astra quelques secondes auparavant lorsqu’elle avait éclairé ses lanternes sur le comportement inhabituel de son frère… et de l’héritière de la cour du Printemps.

Il connaissait bien Jazmin, leurs pères avaient fini par se rabibocher après la guerre, et cela ne lui ressemblait guère. Néanmoins, face à un tel retournement de situation, il ne pouvait pas lui en vouloir de réagir de la sorte. À sa place, il aurait sûrement brûlé la pièce entièrement et en parlant de ça… Quelqu’un aurait pas un peu de maïs ? Je suis d’humeur à faire du popcorn. Plaisanta-t-il avant de vider sa coupe de champagne. Il ne le montrait pas mais était prêt à réagir à la moindre incartade car Izyan s’était joint à la partie. Aucun d’entre eux n’était en mesure de prédire ce qui pouvait arriver et cela ne semblait pas inquiéter Astra le moins du monde, elle prenait son pied, toujours accrochée à lui. Reprends toi, t’as assez fait de dégâts comme ça. C’était demandé gentiment, si on occultait la flamme qu’il avait invoquée et qui menaçait dangereusement la robe scintillante de sa cousine. Cette dernière feula comme un chat. Non mais sois un peu plus discrète au moins, c’est tout ce qu’on te demande. Il lui tendit une bouteille de champagne à peine entamée, lui faisant signe d’aller rire plus loin, si l’envie l’en prenait toujours. Il semblerait que quelqu’un ait besoin d’une nouvelle tenue … ou d’un peu d’aide pour se débarrasser d’indésirables. La main de Myrha sur le dos de sa cousine finit de convaincre cette dernière de s’isoler, même si la référence ne lui était pas destinée. Vukan quant à lui, se fendit d’un sourire charmeur avant d’ôter sa veste et de remonter ses manches, une lueur de défi dans le regard.

Puis-je faire quelque chose pour vous, Heir of the Day Court ? L’effrontée, elle avait décidé de sortir les griffes ce soir, ce qui ne faisait qu’exciter un peu plus le rouquin. Elle voulait jouer ? Parfait, Vukan adorait les jeux, surtout qu’il en ressortait pratiquement toujours vainqueur. Laisse-moi reformuler… Que puis-je donc te faire ma belle ? Petit clin d’œil, pour la beauté du geste mais aussi pour Tyr qui le toisait d’un œil mauvais de l’autre côté de la salle. Un toussotement amusé de Jaeke le ramena néanmoins à la réalité et il darda son regard dans celui de sa sœur, l’air de dire « mieux vaut que tu n’assistes pas à ce qui va suivre ». Jae, tu voudrais pas emmener Enya faire un tour ? Paraît qu’on a une belle vue sur Velaris depuis le balcon… Il n’écouta même pas la réponse de ce dernier, bien trop occupé à glisser sa main autour de la taille de Myrha, bien plus bas que l’étiquette ne l’exigeait. Charmeur, il se rapprocha de la brune pour lui glisser quelques mots à l’oreille. Qu’est-ce que t’as en tête pour ce soir ? Je suis ton homme… comme toujours. Il effleura son lobe de ses lèvres pour lui montrer qu’il n’attendrait pas qu’ils se trouvent dans un coin sombre pour passer à l’œuvre cette fois. Mais n’était-ce pas justement ce qu’elle désirait exactement de sa part ?

La plupart des gens disaient qu’Enya était tout le portrait de sa mère, avec la flamboyante chevelure de son père. C’étaient ceux qui ne savaient d’elle que deux choses : le Chaudron l’avait dépourvue de tout don, peut-être en rétribution de ce que sa tante lui avait dérobé, des années auparavant, qu’elle avait hérité du don de vision de sa mère, qui ne s’était que très rarement manifesté et enfin qu’elle était vierge, ce qui semblait être d’une rareté suffisante pour que la légende de son pucelage se répande dans tout le royaume. Connaissant son grand-père, sans parler de son frère jumeau, cela était en effet plutôt choquant. Mais elle était loin d’être aussi discrète qu’Elain et avait hérité de la langue acérée de son père, ce qui se savait moins … en tous cas dans les cercles « plus âgés ». Dans celui de sa génération, elle était suffisamment connue pour ses réflexions bien senties pour qu’on ne s’arrête pas à ça. Dans le groupe de ses cousins, Enya ne perdit donc pas une miette des « drames » sur le point de se dérouler. Et elle aurait pu en prédire un des deux sans don … L’histoire décousue de son cousin et de la fille des Ombres était bien loin d’être un secret pour quiconque savait observer … et surtout quelqu’un d’aussi passionné par les mating bouds qu’Enya. Depuis son plus jeune âge, cela avait eu une résonnance particulière pour elle, peut-être à cause de l’histoire de ses parents. Dis à ta sœur d’arrêter de lire mes pensées ! Comme s’il y en avait besoin, commenta-t-elle, pour personne en particulier. Il leur fallait un miracle. Ou un mating bond. Mais s’il n’était pas en place depuis toutes ces années … ou l’avaient-ils refoulé ? Etait-ce seulement possible ? Elle se promit de continuer ses recherches dès son retour à la Cour du Jour, dans les immenses bibliothèques dans lesquelles elle aimait se perdre. Car savoir était pouvoir, après tout, et il était hors de question qu’elle laisse la Nature l’emporter.

Sirotant du champagne, elle promena son regard sur l’assistance alors que les petits groupes prenaient forme, notamment sur le duo assez inattendu que formaient Jazmin et Lief. Le comportement inhabituel des deux ne lui avait pas échappé. Et elle avait suffisamment lu pour se douter … pour savoir … mais secrètement, elle avait prié la Mère que ce ne soit pas le cas. Parce que, même si elle rêvait d’observer un mating bond en création…elle connaissait aussi Aiden, et les liens qui le liaient à la jeune héritière de la cour du Printemps. Alors elle retint sa respiration, jusqu’à l’explosion d’Astra, qui lui serra le cœur. Laissant son frère s’en occuper, elle suivit Jaz’ du regard, se demandant si elle devait intervenir. Mais Izyan semblait avoir la situation en main de ce côté. Quant à Lief … Peut-être était-ce lui qui avait besoin de soutien. Il n’avait pu ignorer le baiser d’adieu entre Jazmin et Aiden … mais était-elle la mieux placée pour aller parler à son cousin ? Elle ne savait même pas quoi penser de cette situation. Et elle avait d’ailleurs d’autres chats à fouetter … parce que certains ne perdaient pas le Nord. Puis-je faire quelque chose pour vous, Heir of the Day Court ? Oh. Non. Soufflée, Enya regarda Myrha faire de la place pour se rapprocher de son frère … un peu trop littéralement à son goût. La romantique refoulée et pourtant invétérée qu’elle était manqua de lui faire lancer un regard désapprobateur à la paire improbable qu’ils formaient mais … Laisse-moi reformuler… Que puis-je donc te faire ma belle ? Pitié …

Un toussotement la sortit d’affaire. Jae, tu voudrais pas emmener Enya faire un tour ? Paraît qu’on a une belle vue sur Velaris depuis le balcon… Vuk’ … Une dizaine de répliques possible se bousculèrent sur ses lèvres avant qu’elle ne laisse finalement tomber, la main de Jaeke se posant sur son bras. Elle aurait pu lui dire qu’elle n’avait pas besoin d’escorte, qu’il se comportait comme un con, que personne n’avait besoin ni envie de voir ça, qu’il ferait mieux d’arrêter … mais à quoi bon, après tout ? Haussant une épaule d’un air fataliste, elle se laissa entraîner par le mâle silencieux qui était à ses côtés. Elle appréciait Jae, ce n’était pas un secret. Elle appréciait sa retenue toute en piquant de temps à autres. Pas quand il se laissait entraîner par les deux autres mauvaises graines de la bande mais … ce n’était probablement que son humble avis. Sans un mot, elle avança, sans trop avancer pour garder le contact de sa main sur son bras, qui était somme toute, agréable. Et elle était beaucoup trop perturbée par tout ce qui se passait, par toutes les questions que cela soulevait … Vélaris était effectivement magnifique, comme à son habitude mais cette fois, elle regardait la vue sans vraiment la voir. En douceur, elle posa ses avant-bras sur le balcon, sa robe des plus sobres, légèrement large, flottant dans le léger vent frais de la nuit. Après plusieurs minutes, elle finit par dire : Je me suis toujours dit qu’un mating bond était la solution à toute situation de conflit potentiel. Ses yeux étaient rivés sur les lumières de la ville, alors qu’elle déroulait simplement le fil de sa pensée, disant les choses comme d’habitude, avec beaucoup de franchise et de simplicité : Que Vukan, Tyr et Myrha arrêteraient peut-être leurs jeux dangereux si un tel lien se mettait en place. Mais d’un autre côté … Regarde ce qui vient de se produire. Comme si elle se rendait finalement compte qu’elle avait un réel interlocuteur, elle se tourna vers Jaeke, plongeant son regard franc dans le sien : Aiden et Jazmin sont heureux … étaient heureux. Est-ce que ce lien est préférable à ce qu’eux deux ont déjà ? Qui est la définition du bonheur dans un couple ? C’était une réelle question. Elle avait peu de certitudes dans son existence, étant prête à tout expérimenter, à apprendre toujours plus, à remettre en doute toutes les théories … mais pas celle-là. Jamais. Elle y avait toujours cru. Mais maintenant … peut-être pour la première fois de sa vie, Enya était déconcertée. Perdue. Et quelque part, elle s’en sentait stupide, sans rien pouvoir y changer pourtant.

Jaeke peinait à conserver son sérieux mais parvenait bien à le cacher. Je vais avoir besoin de beaucoup plus de vin … Il sentait que Myrha était à deux doigts de rendre les armes, résignée, mais il ne la laisserait pas faire. Cela faisait trop longtemps qu’elle restait sur la touche, subissant les conneries de Tyr encore et encore. C’était exactement pour cette raison qu’Astra et Jaeke avaient décidé de ne pas garder pour eux cette vision pour le moins surprenante… qu’avait été Vukan et Myrha en fâcheuse posture dans un coin sombre. Ils s’étaient assurés d’en reparler le lendemain, sachant pertinemment qu’un certain imbécile tendrait l’oreille. Mais Jaeke avait encore un dernier rôle à jouer avant de laisser les protagonistes décider de leur destin. Je sais ce que tu es en train de faire. Il se fendit d’un sourire en coin avant d’attraper la coupe de champagne qu’elle avait fait venir pour lui. Ensemble, ils trinquèrent à leur plan machiavélique qu’ils n’avaient nul besoin d’énoncer. Depuis les années qu’ils se côtoyaient, ils avaient fini par développer cette capacité qu’ont les amis de longue date, à savoir parler d’un simple regard. Et ça fonctionne … Le baiser qu’elle déposa sur le bout de son nez lui arracha un petit éclat de rire qu’il dissimula en finissant sa coupe d’une traite. Et courtoise oblige, il exécuta une petite courbette avant de la suivre en direction de Vukan et Enya.

Impuissant, il assista ensuite à la scène surprenante qui se déroula devant toute l’assemblée. Comme beaucoup, il se contenta d’être silencieux mais uniquement pour se laisser le temps d’encaisser la nouvelle et réfléchir à ce qu’il leur fallait faire pour éviter un fiasco. Les ordres ne se firent pas attendre, heureusement, et cela leur permit de reprendre la soirée où elle s’était arrêtée. Ne pas envenimer la situation, minimiser l’incident, rester vigilants tout en faisant diversion. Jaeke aurait aimé rejoindre Lief mais Myrha l’entrainait déjà vers le petit groupe composé de Vukan, Enya et Astra. Cette dernière ne fit pas long feu parmi eux, remise à sa place par l’héritier de la Cour du Jour… qui en profita ensuite pour mieux faire du rentre dedans à sa meilleure amie. Afin de préserver Enya des grossièretés qui pourraient sortir de la bouche de son frère, il toussota pour rappeler à Vukan leur présence. Jae, tu voudrais pas emmener Enya faire un tour ? Paraît qu’on a une belle vue sur Velaris depuis le balcon… Vuk’ … Il faillit perdre de sa superbe en entendant la réaction de la jeune fae et craignant qu’elle ne refuse sa compagnie, il s’empressa de poser une main sur son bras. Un regard alarmé vers Myrha le trahit et il se mordit la lèvre. Lui, d’ordinaire tout en retenue, venait de laisser passer une occasion de faire profil bas. Mais c’était plus fort que lui, il n’avait jamais eu l’occasion de se retrouver seul avec Enya… Si on ne comptait pas les heures passées à la bibliothèque à étudier des ouvrages anciens en sa compagnie… Mais cette fois, dans ce contexte, c’était totalement différent, ils devraient parler. Bizarrement cela l’excitait autant que cela le rendait nerveux, d’où cette réaction peu commune… Comme si, pour une fois, ce n’était plus sa tête qui était aux commandes, mais bel et bien son corps. Et ce dernier semblait la réclamer, sans que Jaeke ne sache pourquoi… ou veuille se l’admettre.

Tel un automate, il la guida jusqu’au balcon, à l’abris des regards de son frère… Ou peut-être le contraire, pour lui éviter de pouvoir épier les agissements de ce dernier ? Jae ne savait plus. Il attrapa une bouteille de champagne sur le chemin et s’arrêta à quelques pas d’Enya, ne sachant pas vraiment quoi faire de son corps. Il finit par adopter la même posture que sa compagne, essayant d’afficher un air décontracté. Si le regard de la rousse se tournait vers l’horizon, le sien ne la quittait pas, attendant qu’elle brise le silence qui s’était installé entre eux. Je me suis toujours dit qu’un mating bond était la solution à toute situation de conflit potentiel. Il avala une goulée à même la bouteille, méditant ses paroles. Sa mère était un conflit perpétuel et pourtant, elle n’avait pas eu besoin d’un mating bond pour devenir plus vivable. Cette constatation, énoncée par Cassian, l’avait toujours fait rire et relativiser les choses. Parfois, l’amour ou l'amitié, aussi simple que cela puisse être aux yeux des privilégiés du mating bond, était suffisant pour vous rendre… complet ? Jaeke ne savait pas comment présenter la chose autrement, n’ayant jamais fait l’expérience de tomber amoureux jusqu’à présent. Cette explication était néanmoins la plus proche de l’opinion qu’il avait fini par se faire. Que Vukan, Tyr et Myrha arrêteraient peut-être leurs jeux dangereux si un tel lien se mettait en place. Mais d’un autre côté … Regarde ce qui vient de se produire. Il acquiesça doucement en croisant son regard. Elle n’avait pas tout à fait tord mais c’était trop facile de croire qu’un lien pouvait tout résoudre. Aiden et Jazmin sont heureux … étaient heureux. Est-ce que ce lien est préférable à ce qu’eux deux ont déjà ? Qui est la définition du bonheur dans un couple ? Il se permit de vider encore un peu la bouteille avant de lui la tendre, pensif.

Absorbé par la réponse qu’il essayait de formuler, il riva ses yeux sur l’horizon pour ne pas se laisser distraire par le regard interrogateur d’Enya. Je pense que seul le temps pourra répondre à cette question, malheureusement. Se passant une main dans les cheveux, il se rapprocha de la jeune femme pour mieux lui faire face. D’après ce que j’ai pu observer, n’ayant jamais eu de relation jusqu’à présent… Il esquissa un sourire avant de reprendre, plus sérieux.  Je crois que chaque couple commence toujours par une phase de bonheur. Mais pour certains, cela ne dure qu’un temps. Peut-être que cela aurait été le cas entre eux… ? Il reprit délicatement la bouteille pour se donner le courage de terminer d’expliquer le fond de sa pensée. N’est-ce pas mieux de ne pas en arriver là ? De permettre à Jazmin de conserver de bons souvenirs avec Aiden. De le libérer de cette relation pour qu’il puisse peut-être, lui aussi, trouver son âme sœur ? Il la laissa méditer sur ces questions avant de terminer par une tirade venue tout droit de son cœur. Je ne connais pas assez Aiden et Jazmin donc je peux me tromper mais… Je crois connaître suffisamment Lief pour dire qu’elle a quand même tiré le gros lot. Et j’espère qu’elle finira par exiger son gain un jour, même si ça prend du temps. Il lui adressa un petit clin d’œil avant d’éclater de rire. La nervosité l’avait quitté au fur et à mesure qu’il s’était montré honnête avec elle. Et peut-être était-ce sa compagnie, la vue ou le simple fait d’être à l’aise en sa présence… qui l’amena à se dévoiler un peu plus, lui d’ordinaire plutôt réservé. Quoi qu’il en soit, pour la plupart du commun des immortels que nous sommes, cela reste rare. Je préfère risquer de finir à la place d’Aiden un jour plutôt que de passer à côté d’une belle histoire. Je ne veux pas attendre toute ma vie quelque chose que la Mère n’accorde qu’à une poignée d’élus. Il riva ses prunelles noires dans celles, claires, de la jeune femme avant de lui adresser un sourire timide. C’était sûrement la plus longue discussion qu’il ait eue avec elle et il tentait surtout de ne pas y penser, de peur de rendre le moment gênant. À la place, il préférait la sonder du regard, attendant avec impatience de voir ce qu’elle pourrait bien répondre à cela.

Il avait pourtant senti la catastrophe se préparer. Il aurait pu l’anticiper, il aurait du faire quelque chose, agir plus tôt en conséquence … mais rien n’était sorti. Rien n’était venu. Et il savait pertinemment que, malgré toute la culpabilité qu’il ressentait et qu’il allait ressentir dans les jours, les mois, les années à venir, il n’aurait rien pu faire différemment. Lief… La façon dont elle prononça cette simple syllabe, la façon dont l’air s’échappait ses lèvres qui ne se touchaient pas … il crut en mourir, sur l’instant. Quelque chose frémit, tout au fond de lui, alors qu’il essayait désespérément de garder le contrôle, le rester maître de lui-même et de la situation. Et pourtant … le plat lui échappait déjà et il savait, sentait que la suite ne serait pas simple. Mais que pouvait-il faire ? Il n’était qu’un mâle, un mâle complètement démuni, malgré tous ses pouvoirs. Tu sais…qu’on a aussi des fruits chez moi pas vrai ? Les mêmes en plus, c’est fou ! Non pas que ce soit pas gentil de ta part ein mais jeveuxpasparaîtreimpolie… de l’alcool ? À boire ? J’en ai besoin là. Je me sens… bizarre. Le débit de paroles le percuta de plein fouet, l’enivrant des accents chantants de sa voix, mais le submergeant complètement, incapable de penser correctement : Tout à fait, nous disposons également de rafraîchissements. Le ton était formel, ses réflexes d’Héritier prenaient le relais alors qu’il ne parvenait pas à reprendre pied. C’était comme si la noirceur de ses pouvoirs, de cet héritage était en train de le recouvrir. Quelque chose d’ancien, quelque chose de puissant était en train de s’éveiller, prenant le pas sur tout ce qui était réel, tout ce qui était juste, tout ce qui était simple … tout ce qui était lui. C’est quoi ce foutu putain de bordel ? Vous vous foutez de ma gueule pas vrai ? Pourquoi je me sens COMME CA ?! C’EST PAS NORMAL ! CA M’EST JAMAIS ARRIVÉ ! Il ne sursauta pas. Ne broncha pas. Il ne parvenait plus à réagir correctement. Son regard suivit le plat et s’arrêta sur ses mains, ses mains qui tremblaient de façon incontrôlable, ses mains qu’il avait tellement envie de prendre dans les siennes … d’ailleurs, elles avaient fait la moitié du chemin, se tendant pour proposer leur écrin protecteur quand … C’est toi pas vrai ? Crache le morceau !

L’accusation le gifla et ses doigts se rétractèrent, instinctivement alors qu’il considérait la femelle en face de lui. Sur la défensive. Un feulement lui monta aux lèvres, interrompu par Izyan qui entra dans son champ de vision. Je peux savoir ce qu’il se passe, ici ? Le grognement sortit, des entrailles de Lief. Il ne parvenait pas à réfléchir. Jamais il n’avait agi de la sorte, tout en retenue, en diplomatie, vrai produit de son éducation. Mais la situation lui échappait, et cette main, cette main dans le dos de Jazmin … Ca ne va pas ? Qu’est-ce que tu… Holy-fucking-MATES ! Ses prunelles, fichées sur la main de l’Héritier de la cour de l’Eté se figèrent. Chaque fibre de son être s’était mise à vibrer, à danser, à hurler alors que le mot, prononcé par sa sœur résonnait dans la pièce. Il n’entendait plus le battement de son propre cœur. La réalité venait de le rattraper et il ne savait pas … il ne voyait que cette main. Cette main qu’il voulait arracher du bras de son possesseur. Cette main qui … <i>Lief !</i> Une flèche d’ébène venait d’érafler les murs d’obsidienne entourant son esprit. Son. Père. Ses yeux changèrent rapidement de cible, pour se planter sur la silhouette secouée de spasmes d’hilarité de sa sœur. Evidemment. D’une pensée, il érigea des murs invisibles autour de la pièce. Il était hors de question que les adultes s’en mêlent. Que Tamlin débarque. Que son Père, que sa Mère … Toutes communications coupées. Pas avant qu’il ne comprenne. Pas avant qu’il ne sache …

Elle n’était plus là. Un léger feulement lui échappa, alors qu’il la repérait, plus loin, avec Izyan. Trop près. Beaucoup trop près d’elle. Il avait envie de hurler. Etait-ce vraiment ce qu’on était censé ressentir ? Son monde venait de s’ouvrir en deux. Son cœur et son âme également. Elle semblait … incomplète, maintenant. Comme s’il lui manquait soudainement un membre, un membre dont il n’avait jamais soupçonné l’existence mais qui maintenant lui faisait défaut au point de le rendre fou de douleur. Il y avait cela. Il y avait cet instinct bestial, primal, lui hurlant de tuer tous les mâles présents. Et il y avait cette image, précise, indélébile de l’Héritier de la Cour de l’Automne l’embrassant. Il pouvait sentir son odeur d’ici, sur elle, sur … Il allait devenir fou. Et pourtant, il savait que son corps lui obéissait, encore pour quelques temps. Il n’avait plus conscience de grand-chose. Seulement qu’il lui fallait de l’air. Un rapide regard lui apprit que le balcon face à l’Est était occupé, il y en avait d’autres … Dans un mouvement aussi souple que rapide, il fut au buffet, attrapant une bouteille de vin. Ses yeux se trouvèrent sur Jazmin, quelques secondes. Il dut s’agripper à la table pour ne pas tout envoyer valser et l’emmener ailleurs. Dents serrées, il se saisit également d’un verre, qui était … celui de Tyr. Il n’avait pas la force de se contenir suffisamment pour en attraper un autre, aussi s’en tint-il simplement à celui-là. Un regard à ses côté pour Syeira lui fit siffler, le souffle court : Arrête de jouer au con. Tu ne sais pas ce qui t’attend si tu continues. Il ne put pas faire mieux. Il aurait voulu hurler, là, la douleur qu’il ressentait, les envies sans nom qui le traversaient. Mais il n’en était pas question. Il n’était pas comme ça. Dans un bruissement de tissu, il winnowed jusqu’au balcon opposé. L’air frais supposé lui faire du bien le gifla durement. Il. Etait. Foutu.

Trop occupé à bouder comme un enfant capricieux, Tyrrell n’avait pas vu Syeira le flanquer. Ce ne fut que lorsque sa voix mielleuse raisonna prêt de son oreille qu’il se retourna pour la dévisager, surpris qu’elle n’ait pas préféré rester en meilleure compagnie. Car ce soir le guerrier était en proie à une de ses humeurs, un sale trait de caractère qu’il avait hérité de sa mère. Tu t’adresses à la mauvaise personne pour t’aider, mon chou. Il lâcha un grognement dédaigneux pour toute réponse et accepta de la resservir par automatisme. Pour être honnête, il ne voulait accepter l’aide de personne car il se bornait à croire qu’il n’en avait pas besoin. Mieux valait vivre dans le déni qu’avouer que son égo en prenait un coup. Heureusement, Syeira n’était pas le genre à se laisser abattre et elle le connaissait suffisamment bien pour insister. Alors, quel est le plan, beau gosse ? Il darda ses prunelles bleues dans celles de la blonde et ne pût résister à son sourire, qu’il retourna malgré lui. En effet, maintenant qu’il prenait le temps de la dévorer des yeux, elle était bien la plus à même d’inverser la situation. Si Myrha voulait jouer avec ses nerfs, il n’y avait pas de raison qu’il fasse de même lui aussi. J’en sais rien… Soupira-t-il, s’avouant presque vaincu. Tu sais que je pourrais occuper Vukan pour la soirée, si tu me le demandais. Il éclata de rire, voyant clair dans son petit jeu mais connaissant suffisamment la jeune femme pour s’abstenir de tout commentaire, tenant à ses parties intimes qu’elle ne manquerait pas d’attaquer s’il avait l’audace de parler de Vukan… et de ce qu’il lisait dans les yeux de Syeira lorsqu’elle l’observait, outre l’agacement. On peut aussi s’amuser… Lui glissa-t-elle alors qu’il lui répondait par un sourire appréciateur, tentant de cacher son soulagement. Dieu savait qu’il avait besoin d’une distraction pour s’empêcher de lancer des coups d’œil vers Myrha. Et malheureusement, il lui faudrait beaucoup plus que du champagne pour résister à la tentation d’épier chacun des agissements de la brune. Alors faisons ça. Jusqu’à ce que l’alcool m’inspire quelque chose d’intelligent… Ou plutôt de complètement stupide vu que c’est de moi qu’on parle. Cynique mais réaliste, il esquissa un sourire résigné avant de boire sa coupe d’une traite… pour finir par avaler de travers lorsque le cri triomphal d’Astra réduisit la salle au silence. Une main sur son poignard qui ne le quittait jamais, il chercha Lief des yeux et arrêta presque de respirer devant son expression et la scène qui suivit. Bordel de merde… Je m’étais préparé à un incident diplomatique mais ça… Chuchota-t-il à l’oreille de sa partenaire une fois que les choses furent rentrées dans l’ordre. Enfin, autant que possible vu la situation.

Ses yeux parcoururent la salle pour vérifier que la soirée reprenait bien son cours et malheureusement pour lui, certains ne perdaient pas leur temps. Il lança un regard meurtrier à Vukan malgré lui, avant de se faire interrompre par Lief qui lui vola son verre. Sa colère disparut instantanément, Tyr étant trop préoccupé par l’état de son meilleur ami pour s’attarder sur les agissements de Vukan. Il posa une main sur l’épaule de Lief, espérant lui apporter un quelconque réconfort. Respire, ça va a… Mais ce dernier ne le laissa pas terminer sa phrase. Arrête de jouer au con. Tu ne sais pas ce qui t’attend si tu continues. Il fronça les sourcils avant de remarquer que Lief observait Syeira. Il serra les dents, comprenant le message cinq sur cinq mais avant qu’il ne puisse répondre quoi que ce soit, ce dernier disparu. Vaincu et résigné, il lâcha un long soupir avant de s’adosser à nouveau au bar. C’est bien son genre ça, s’occuper de mes problèmes au lieu de gérer les siens. Mais Tyrrell lui en était reconnaissant au fond. Savoir que son ami tenait suffisamment à lui pour le mettre en garde alors que sa vie partait potentiellement complètement en couille… C’était quelque chose de suffisamment fort pour lui faire piquer les yeux. Il s’éclaircit la gorge avant de se tourner avec un sourire désolé vers Syeira. Attrape autant de bouteilles que tu peux Sy’, on va aller lui tenir compagnie avant qu’un de nous fasse quelque chose qu’il regrettera demain matin. Donnant l’exemple, il vola autant d’alcool fort que possible et traversa la salle avec agilité pour rejoindre l’héritier, jetant de temps en temps un regard vers son amie afin de s’assurer qu’elle le suivait bien. Arrivé vers Lief, il déposa son butin devant de ce dernier et sans un mot, ouvrit une bouteille qu’il lui tendit. La plus forte du lot. T’as sûrement envie de rester tout seul mais j’ai besoin d’être surveillé avant de niquer complètement toutes mes chances… en niquant Syeira une énième fois vu qu’elle me cherche. Un clin d’œil vers cette dernière pour appuyer ses propos et un sourire en guise d’excuse. Il se prépara à recevoir un coup qu’il savait mériter et qu’il endurerait si cette provocation pouvait arracher un sourire à Lief. Si tu veux parler, on est là. Si t’as besoin de frapper quelqu’un, je me porte volontaire. Sinon on peut juste boire, ça me va aussi. Énonça-t-il doucement avant de choisir une bouteille pour lui-même, non sans en tendre une au préalable vers Syeira afin de s’assurer qu’elle soit servie elle-aussi.

Laisse-moi reformuler… Que puis-je donc te faire ma belle ? Il était parfait, à bien des égards. Myrha avait déjà vu des femelles se battre, littéralement, pour ses faveurs. Et elle, eh bien, n’avait jamais eu à le faire. Des frissons naissaient dans le bas de sa nuque sous le regard de braise du jeune mâle. Il le faisait pour le show, autant qu’elle, mais ça lui allait. Ils étaient sincères l’un avec l’autre, ils savaient ce qu’ils voulaient … et pour l’instant, elle voulait qu’il la regarde comme il la regardait et qu’il lui fasse oublier … le reste. Elle ne fit même pas attention à Jae, qui devait être bien trop content d’avoir une occasion de se retrouver seul avec Enya. Il y avait énormément de choses qui se passaient, mais elle n’avait aucune envie d’être l’adulte responsable cette fois-ci. Tyrrel et Syeira n’avaient qu’à s’en charger, pour une fois. La main de Vukan dans son dos la fit soudainement s’embraser. Elle ne regrettait absolument pas le choix de cette robe. Pas. Du. Tout. Qu’est-ce que t’as en tête pour ce soir ? Je suis ton homme… comme toujours. Un rire cristallin lui répondit, alors qu’elle déposait une main dans sa nuque, l’attirant au plus près d’elle. Il était démoniaque, à jouer avec son lobe et ses nerfs de la sorte. Mais elle ne pouvait pas lui en vouloir, après tout, c’était bien elle qui était venu titiller les flammes de l’enfer pour mieux s’y brûler … les ailes. La question serait plutôt : qu’est-ce que je n’ai pas en tête ?  Evidemment, s’afficher devant les deux oiseaux précédemment mentionnés avaient été la première envie. Leur départ n’atténua cependant en rien son envie de lui. Qui aurait pu l’en blâmer ? Ses dents trouvèrent la peau du cou de l’Héritier de la cour du Jour, jouant brièvement avec : J’aurais aimé t’emmener sur les toits pour profiter de la vue, mais il semblerait que nous soyons confinés ici.  Le blocage mental de Lief leur coupait toute retraite.

Ses yeux scannèrent rapidement la pièce. Il ne restait plus grand monde, deux des balcons étaient déjà occupés, et il n’était pas question d’aller là où se trouvait leur public préféré, Lief avait suffisamment de choses à gérer pour l’instant. Se décollant de lui suffisamment pour plonger ses yeux dans les siens, elle se rendit compte qu’elle avait déjà le souffle court. Il avait vraiment quelque chose d’exceptionnel et d’absolument irrésistible. Alors soit on essaye d’arranger les choses ici pour pouvoir partir au plus vite.  Les toits, le ciel pour seul spectateur, les étoiles en guise de couverture et la vue sur Vélaris qui était imprenable. Même si celle dont elle avait besoin était en face d’elle. Elle n’avait pas réellement envie de s’occuper de quoi que ce soit d’autre. Mais elle savait qu’il connaissait Jazmin, peut-être voudrait-il essayer d’atténuer ce qui était en train de se passer. Syeira était partie. Peut-être ne serait-ce plus suffisamment intéressant pour lui. Se mordant la lèvre, ses yeux glissèrent sur le torse sculptural de Vukan qui se dessinait parfaitement sous sa chemise. Soit on les laisse se débrouiller comme des grands et on trouve un moyen créatif de passer le temps. Sans aller jusqu’au bout en public, sans le moindre doute. A moins que … en réalité, elle n’était pas certaine de ce dont elle était capable ou non. D’un mouvement du poignet, elle déroba la bouteille du mâle et la porta à ses lèvres. Alors ? Je connais un tas de jeux sympathique… et je suis certaine que tu peux m’en apprendre des nouveaux. Qu’il dise oui ou non ne changerait rien : c’est pour lui qu’elle s’était habillée. Et c’était avec lui qu’elle voulait terminer la soirée. Quoi que cela puisse vouloir dire, quels que soient les enjeux réels.

C’était à ses yeux qu’elle se raccrochait, désespérément. Comme si le velours qui semblait les habiter avait le pouvoir de résoudre le problème auquel elle se heurtait. Et il était sans doute la personne présente la plus à même de le faire. Combien de temps avaient-ils passé à étudier côte à côte ? Il en savait sans doute autant qu’elle sur bien des sujets. Alors elle espérait … mais il détourna le regard. Enya réceptionna la bouteille et but à même le goulot, l’imitant, pour cacher son trouble, sa frustration. Je pense que seul le temps pourra répondre à cette question, malheureusement. C’était certain, elle le savait. Mais elle voulait savoir. Se poser. Comment Jazmin pourrait-elle avancer s’il n’existait pas une vérité générale, absolue, à laquelle se référer avant de changer le cours du destin de ceux que la Chaudron avaient inclus dans l’équation ? Les questions se bousculaient mais il fut là, soudain, présence rassurante, plus proche d’elle. Et elle put de nouveau se perdre dans ses iris couleur orage. D’après ce que j’ai pu observer, n’ayant jamais eu de relation jusqu’à présent… Aucun commentaire ne passa le pas des lèvres de la jeune femme, qui esquissèrent cependant un léger sourire en coin. Pas de relation non. Mais … on l’avait déjà entraîné dans quelques bêtises. Je crois que chaque couple commence toujours par une phase de bonheur. Mais pour certains, cela ne dure qu’un temps. Peut-être que cela aurait été le cas entre eux… ? La bouteille lui échappa sans qu’elle ne cherche à la retenir. Il y avait des choses à objecter, mais elle voulait lui laisser aller jusqu’au bout de sa pensée, de son idée. N’est-ce pas mieux de ne pas en arriver là ? De permettre à Jazmin de conserver de bons souvenirs avec Aiden. De le libérer de cette relation pour qu’il puisse peut-être, lui aussi, trouver son âme sœur ?

C’était un point de vue intéressant, elle ne pouvait pas le nier. Mais cela la dérangeait, quelque part. C’est cependant présager de l’échec de la relation actuelle, qui n’est pas une certitude. Ou alors considérer que toute relation est vouée à se finir. Ce qui n’est guère optimiste. C’était risquer un présent sûr pour une futur hypothétique. Et ça n’avait rien de cartésien. De logique. Le cœur n’était pas soumis à ces lois, elle le savait. Mais cela ne l’empêchait pas de mettre en cause ce que le destin était en train de trafiquer. Même si Jaeke avait fait mouche avec certains de ses arguments, elle n’était pas prête à rendre les armes. Je ne connais pas assez Aiden et Jazmin donc je peux me tromper mais… Je crois connaître suffisamment Lief pour dire qu’elle a quand même tiré le gros lot. Et j’espère qu’elle finira par exiger son gain un jour, même si ça prend du temps. Un sourire franc se dessina sur les lèvres d’Enya. Elle savait qu’il avait raison. Son cousin était réellement quelqu’un d’exceptionnel et on ne pouvait pas dire que la femelle qui lierait ses jours aux siens serait à plaindre. De toutes les manières, ce serait à Jazmin de prendre sa décision et elle la soutiendrait, qu’elle quelle soit. Elle pouvait rejeter ce mating bond. Rien ne l’obligeait à l’accepter. Mais elle préférait ne pas souhaiter cela à Lief. C’était … compliqué. Elle soupira avant de dérober la bouteille de nouveau à Jae pour en boire une longue gorgée. Advienne que pourrait, ce n’était pas entre ses mains.

Quoi qu’il en soit, pour la plupart du commun des immortels que nous sommes, cela reste rare. Je préfère risquer de finir à la place d’Aiden un jour plutôt que de passer à côté d’une belle histoire. Je ne veux pas attendre toute ma vie quelque chose que la Mère n’accorde qu’à une poignée d’élus. Il avait de nouveau capté son attention. Son sourire s’était fait moins large, plus discret, alors qu’elle méditait ses paroles. Jamais elle n’avait eu d’histoire, elle non plus. Il y avait bien eu des mâles pour éveiller son attention, mais, dans son esprit, la Mère lui enverrait celui dont elle avait besoin avec le Lien comme une évidence, pour qu’elle comprenne qu’il s’agissait du bon. Même si son absence de magie, elle l’avait acceptée de bonne grâce, elle estimait qu’on lui devait au moins ça en retour. Cependant, il avait raison sur un point : les années passaient et rien n’arrivait. Rien. Du tout. Elle continuait d’étudier la théorie, voyait des couples se former, se chercher, en spectatrice, en analyste. Sans jamais rien essayer elle-même, en se disant que cela viendrait un jour. Mais la réalité était là, dans les mots et dans les prunelles de Jaeke : peut-être que personne ne viendrait, jamais. Pas comme ça, pas comme elle l’attendait, en tous cas. La pensée la fit frissonner et elle baissa les yeux sur la bouteille. Je pense … que tu as raison. Le bout de ses doigts la picotait. Et avec ces mots, une envie était née. Pourquoi attendre après une Chimère ? Alors que la réalité pouvait être douce et simple. Prenant une légère inspiration, elle but une dernière gorgée. Pour se donner du courage. Et lui fit face. Jaeke. Son compagnon silencieux. Qui venait de s’ouvrir à elle. Dont la conversation lui avait toujours plu ; ainsi que la physionomie. Alors … pourquoi attendre ? Et, dans un souffle, elle combla l’espace qui le séparait du Fae, posant ses lèvres délicatement sur les siennes, brièvement ; comme une question. Je n’ai plus envie d’attendre. Sa voix tremblait. Et elle aussi. Alors qu’elle attendait, fébrile, la réaction de celui qui lui faisait face.